mardi 25 mai 2010

Le sénat coutumier devant la 4e commission de l'ONU en 2008


Le séminaire régional du Comité des 24 de l'ONU s'est achevé ce jeudi 20 mai 2010 à Nouméa. Le refus de la participation d'une délégation maohi, emmenée par Oscar Temaru, au séminaire a succité des rémous. Fort heureusement, une rencontre a eu lieu entre la délégation d'Oscar Témaru et le président du Comité des 24 a eu lieu finalement au siège du Sénat Coutumier le soir même.
Manifestement, le sénat coutumier a joué un rôle dans cette affaire. Pour saluer cela, Madoy publie une déclaration datant de 2008 devant la 4e commission de l'ONU faite par l'actuel président de l'institution...


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Déclaration de Monsieur Julien BOANEMOI sénateur coutumier de l’aire Ajie-Aro.

Devant la 4ièmme Commission de l’Organisation des Nations Unies, 63ième session
(New York le Jeudi 9 octobre 2008, 15h)

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres de la 4ième Commission
Mesdames et Messieurs


Permettez moi tout d’abord de vous féliciter, Monsieur le Président, pour votre élection et celles des membres de votre bureau à la tête de cette importante Commission chargée des problèmes de décolonisation. J’interviens devant votre commission en ma qualité de sénateur coutumier de la Nouvelle Calédonie. Notre institution m’a chargé de vous donner, dans le temps qui nous est imparti, notre appréciation sur le processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie à travers l’application de l’accord de Nouméa, accord de décolonisation, signé le 5 mai 1998 entre le FLNKS représentant les intérêts du peuple kanak d’une part et les anti indépendantistes et l’Etat Français d’autre part.

Le sénat coutumier constitue un des éléments clés de l’accord de Nouméa, il est chargé de représenter, défendre et promouvoir l’identité kanak dans l’ensemble du dispositif institutionnel de cet accord. Cette identité kanak forme le socle dur lequel se bâtit les fondements de notre futur Etat. En quelques minutes, je voudrais rappeler à votre commission les principaux problèmes qui se posent à l’émancipation de notre peuple.

1 - Le Kanak devait être au centre du dispositif. Il reste en fait marginalisé

Lors de la négociation sur le contentieux colonial entre l’Etat et le Peuple Kanak, avait été acté le principe de redonner au Kanak, toute sa place dans le dispositif transitoire préparant à l’émergence du futur Etat. Il avait été de même reconnu que la réparation des torts causés à notre Peuple et la recherche de la cohésion sociale passaient nécessairement par le respect de ce principe. Malgré la domination coloniale et son cortège de trahison, humiliation, exclusion, le Kanak a toujours su s’adapter et trouver les réponses pour assurer sa propre survie et la coexistence avec les communautés immigrées de gré ou de force sur sa terre ancestrale. Pour pouvoir exercer réellement son droit d’accueil, la reconnaissance de sa place centrale était incontournable. Après neuf ans d’application de ce principe, force est de constater que la marginalisation du Kanak s’est accentuée dans certains secteurs clés de la société. Peu à peu : « l’invité a pris la place de l’hôte ».

1.1 - La colonie de peuplement par l’immigration

Ainsi, il devient de plus en plus minoritaire dans son propre pays. Le flux de migration en provenance de la Métropole a considérablement augmenté depuis la signature des Accords de Matignon et de Nouméa. Cela malgré les promesses de Mr Michel Rocard qui s’était engagé en tant que Premier Ministre lors de la signature de l’accord de Matignon en 1988 à bloquer les flux migratoires. Le seul moyen retenu pour freiner ce flux incessant était la restriction sur le droit de travailler qui devait faire l’objet d’un projet de loi du pays. Ce projet est resté lettre morte depuis 1998. Chaque année débarquent par centaine des retraités fonctionnaires à salaire indexé, des militaires français à la retraite, des commerçants, des artisans, des spéculateurs etc…Le but est clair, il s’agit de peupler la Nouvelle Calédonie (dans la droite ligne de la circulaire du Premier Ministre Messmer en 1972) afin de noyer le Kanak démographiquement pour le priver d’accéder à l’indépendance


1.2- Déstructuration de la société KanakLe dualisme de la société Kanak s’accentue : D’un côté les Kanak, soit cantonnés dans leurs Provinces et leurs tribus dans un mode de vie considéré comme hors norme, soit agglutinés dans la périphérie de Nouméa et les autres vivant un modèle de société présenté comme la référence du progrès social et de la modernité. Le tiraillement qui en découle induit des ravages avec ses effets négatifs tels que la délinquance, la consommation excessive de cannabis et d’alcool, ou encore le suicide dont sont victimes en priorité les jeunes Kanak en perte de repères sociaux et culturels. Le haut commissaire de la république vient d’ailleurs de saisir officiellement le Sénat sur ce sujet délicat de l’augmentation de la délinquance dans la jeunesse kanak. L’exclusion et la marginalisation d’une partie de cette jeunesse s’accentuent avec la mise en place progressive d’une société dont le modèle est dupliqué sur celui de la France Métropolitaine. Cela a pour conséquence une mise à l’écart qui ne peut engendrer à terme que délinquance, violence et contestation.

1.3– La formation et l’emploi contre la promotion des Kanak

Depuis des décennies, il est constaté le manque de réussite des enfants kanak dans le cursus scolaire et universitaire français. Malgré les moyens mis en œuvre dans le cadre des différents accords politiques,les résultats démontrent la persistance d’un écart important entre la jeunesse Kanak à majorité sans diplôme et la jeunesse Européenne. Les conséquences sont connues : chômage élevé, problème d’insertion professionnelle, précarité, délinquance .Les premières réformes de l’enseignement sortent progressivement, mais leur applicabilité est difficilement envisageable pour plusieurs raisons : extrême lourdeur administrative et institutionnelle, charges financières importantes d’un système copié sur le système français engendrant une incapacité financière des Provinces. En règle générale, l’école reste une école élitiste au regard de l’obtention des diplômes même si beaucoup de moyens sont investis. Après 155 ans de colonisation, il n’y a encore aucun avocat kanak inscrit au barreau de Nouméa, un seul magistrat, un seul professeur d’université, trois médecins, quelques dizaines d’ingénieurs.

1 4 – Le foncier au détriment des Kanak

L’accord de Nouméa a reconnu la nécessité de donner satisfaction aux revendications foncières kanak dans les zones périurbaines et a acté le principe de doter l’ADRAF de moyens adéquats. Or le budget d’acquisition foncière de cet établissement d’Etat a été diminué de manière drastique rendant pratiquement impossible de nouvelles acquisitions foncières dans les zones suburbaines de Nouméa du fait de la spéculation effrénée en matière foncière et immobilière. Cette spéculation commence à s’étendre sur l’ensemble de la grande terre. On assiste à une nouvelle forme de colonisation. Le profit pour les opérateurs et investisseurs immobiliers et la nécessité de loger les nouveaux arrivants prennent le pas sur les revendications des clans spoliés dont le droit de vivre dans un environnement protégé afin de parvenir à un « niveau maximal d’autosuffisance économique » est reconnu par l’article 12, du chapitre IV du plan d’action de la résolution de l’ONU du 8 décembre 2000.

Enfin, Mr le président

1.5 - Le Kanak est contraint de se battre pour défendre son environnement

Ayant vécu dans sa chair la pollution minière depuis 1880, il se bat avec énergie afin que de grandes sociétés métallurgiques telle que INCO, des sociétés de construction de lotissement résidentiel sur le littoral et en zone maritime ou encore des sociétés d’aquaculture, respectent les normes antipollution. De tout temps, le Kanak a été respectueux de la nature, son rapport avec l’environnement fait partie de sa philosophie de la vie. Le cosmos, la terre, l’eau et l’homme forment un ensemble cohérent dans lequel doit régner l’harmonie. Les bouleversements du milieu ont donc des conséquences sur la conception même de la vie du Kanak. Les menaces sur la biodiversité, les changements climatiques, la montée du niveau des mers …deviennent source d’angoisse permanente pour un peuple déjà bien déstabilisé par sa situation de colonisé. Le gouvernement Français devrait y être sensible puisqu’il s’est fait le champion de ce combat depuis la conférence sur la biodiversité de février 2004 à Kuala Lumpur (Malaisie).

Pour conclure Mr le président, je voudrais au nom du sénat coutumier rappeler à votre commission que l’avenir du peuple kanak, peuple colonisé est sous votre responsabilité, aidez le à fermer avec dignité cette parenthèse de l’histoire qu’est le colonialisme. Ne le laissez pas sombrer dans les poubelles de l’histoire. Nous n’oublions pas que le colonialisme est un crime. Toute initiative renforçant le colonialisme est caractérisée ainsi par la résolution 2621 (XXV) adoptée le 12 décembre 1970 à l’occasion du 25ième anniversaire des Nations Unies : « L’Assemblée Générale déclare que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et des principes du droit international ».

Afin de vous rendre compte des difficultés du peuple kanak actuellement, le sénat coutumier invite votre commission à se rendre en mission en Nouvelle Calédonie, comme cela a été le cas en 1999 au lendemain de la signature de l’accord de Nouméa. Dans le même ordre d’idée, ce serait un grand honneur pour notre pays, que le prochain séminaire sur la décolonisation, se tienne en Nouvelle Calédonie, le sénat coutumier sera là pour vous accueillir chaleureusement.

Je vous remercie.
Julien BOANEMOI.