dimanche 26 septembre 2010

KANAKY est en train de naître !

Le philosophe Hamid Mokaddem tiendra une communication sur la littérature locale et la politique autour du nom de pays de la Nouvelle-Calédonie le jeudi 30 septembre 2010 à l'Institut de Formation des Maîtres de Nouvelle Calédonie (IFM NC). C'est dans ce cadre qu'il a souhaité nous faire part du discours du 1er décembre 1984 prononcé par Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS, à l’occasion de la première montée des couleurs du drapeau de Kanaky à la tribu de La Conception.


"Kanaky est en train de naître !

En 1853, notre pays a vu flotter à Balade le drapeau tricolore qui a enlevé à Kanaky sa souveraineté. Aujourd’hui, nous relevons le défi, et nous levons ce drapeau. Le vert, symbole de Kanaky, le vert du pays kanak. Le rouge, symbole de la lutte du peuple kanak, symbole de notre unité, de l’unité du FLNKS, du projet d’unité avec tous ceux qui accepteront la République de Kanaky. Le bleu de la souveraineté. Le soleil est aujourd’hui au rendez-vous, même s’il n’a pas été toujours au rendez-vous de l’histoire du peuple kanak. Merci au soleil ! Merci à nos ancêtres d’être là ! Ceux qui ont suivi péniblement le chemin de l’humiliation, des coups de pieds au derrière, ceux qui ont baissé la tête, parce qu’à chaque fois qu’ils la relevaient, ils se sont fait humilier. Les revendications de nos pères ont toujours trouvé en face l’Administration coloniale et les gendarmes pour leur dire que parce qu’ils étaient kanak, ils avaient tort, quelque soit leur droit. Aujourd’hui nous disons que notre droit, il mourra avec nous. Mais tant que nous serons là, ce drapeau flottera devant le ciel! Devant les pays qui ont leur souveraineté. Pour revendiquer qu’à jamais nous faisons partie du concert des nations.

Je voudrais saluer nos militants, nos militants depuis toujours. Saluer les dix derniers vieux qui ont été enterrés, fusillés ensemble devant le trou creusé sous le monument, là-bas, à Pouébo. Saluer tous ceux qui ont été emprisonnés, parce que refusant de se soumettre au gouvernement colonial; beaucoup de chefs, beaucoup de vieux sont morts à Nouville, à l’île des Pins, à Tahiti, en Australie. Si vous connaissez l’histoire de nos pères, vous savez que beaucoup de nos responsables sont aujourd’hui dans les cimetières, hors de chez eux. Saluer les gens qui, en 1878, ont relevé la tête dans la région qui est aujourd’hui remplie de facistes. La mort d’Ataï symbolise la mort de ces héros. Il n’a pas eu la chance que nous avons aujourd’hui : pouvoir nous déplacer plus facilement, un système de communications plus moderne, et aussi peut-être le changement de mentalité de l’adversaire. Noël et tous les vieux qui sont morts en 1917. Ils sont nombreux ceux qui ont été chassés de chez eux.

Je dirais que le plus dur n’est peut-être pas de mourir ; le plus dur c’est de rester vivant et de se sentir étranger à son propre pays, de sentir que son pays meurt, de sentir que l’on est dans l’impuissance de relever le défi et de faire flotter à nouveau notre revendication de la reconquête de la souveraineté de Kanaky. Je voudrais saluer les militants qui ont été frappés. Ceux de 1969 et d’avant ; il y en a beaucoup parmi vous, beaucoup qui ont fait de la prison. Il y a ceux qui sont morts. Il y a celui qui vient d’être tué d’une balle en plein front; le front de la liberté. Je voudrais aussi que notre lutte arrive vite vers la lumière, vers la liberté. Et permettez-moi de demander que nous puissions ensemble dire pardon aux hommes chez qui nous installons la haine à cause de la logique qui est la nôtre, ce pacte pour que la souveraineté de notre peuple soit réinstallé en Kanaky.
Que notre drapeau soit notre compagnon maintenant pour nous rappeler que notre lutte, elle est politique et la revendication de souveraineté n’a pas pour objectif la mort mais se rappeler que la mort fait partie de la logique à partir du moment que notre revendication de légitimité s’affronte à la légitimité coloniale installée par le Gouvernement Français. Ces deux légitimités en lutte latente constituent le fondement de la guerre, le fondement de la haine, le fondement de ce que nous ne voulons pas voir dans notre pays. Alors nous sommes pressés pour que débouchent les discussions sur la restitution de la souveraineté à Kanaky.
Pour terminer, je voudrais vous lire un petit poème que j’ai rêvé dans la nuit. Nous avons essayé de faire un air, mais avec tous les coups de téléphone nous n’y sommes pas arrivés.

Ô Kanaky, mon pays, mon pays!
Mon pays, je te salue!
Ton peuple souverain est fier!
Ton peuple issu des terres, des tertres sacrés.
Uni aux ancêtres de toujours, rassemblés par le même destin.
Le regard tourné vers l’avenir.
Pour proclamer face au monde, face à l’histoire, ta souveraine liberté.
Ô Kanaky, mon pays! Vive Kanaky!


Au nom du peuple kanak, je salue l’emblème national de Kanaky et déclare constitué le gouvernement provisoire de la République de Kanaky. Que Kanaky vive!

Jean-Marie TJIBAOU